La Foi est comme une haute montagne

Steenkerque 2004

 

La foi est une réponse : une réponse à des signes, à des expériences spirituelles, à une révélation, à une parole . Mais cette réponse ne va pas de soi. Elle demande une confiance en sa parole, une obéissance à ses appels, une connaissance de Dieu et de sa loi. Cette réponse est un mouvement actif, tendu vers Dieu. C’est un chemin d’audace.

La Foi est comme une haute montagne. De nombreux chemins y mènent et la serpentent, se croisent et se séparent, se rapprochant par une face ou par l’autre du sommet. Souvent son sommet est dans les nuages ou dans la brume et seul son souvenir nous appelle à continuer à grimper et progresser sur le chemin que nous avons entrevu au par avant. A la base de la montagne, au bords des plaines, la Foi est encore imprécise, Foi en un Tout Autre, en ce qu’on ose pas encore appeler Dieu. Et plus loin dans les immensités de la plaine, quelques collines de croyances, … Progressivement, en avançant vers le sommet, la Foi se précise, Dieu se révèle peu à peu. Et Il nous appelle à marcher, à grimper, toujours …

Mais poussons l’analogie plus loin en revisitant mon propre chemin de Foi au gré de ces chemins de montagne …

Je suis né dans la plaine, ou tout au moins dans une région qui de loin paraît plate. Une maison accueillante, plantée sur une petite colline baignée dans la lumière diffuse de la plaine. Car si les habitants de la plaine ne connaissent pas la montagne, s’ils ne croient pas en Dieu, l’idée même ne leur en est pas totalement absente. Pour preuve, certains se réfugient dans des trous creusés pour échapper à la vision fugitive de cette montagne qu’ils ne veulent pas voir. Mais beaucoup se posent des questions : « D’où vient cette lumière qui nous baigne et nous éclaire ? » « qu’elle est sa source ? » Alors certains la nomment : La Lumière, La Source, L’Energie, … car nommer rassure. Et puis d’autres partent à sa recherche, pressentant bien qu’il y a quelque chose à trouver, à voir, à sentir, … à découvrir. Mais la plaine est grande, la lumière diffuse, … et il est si facile de s’arrêter sur la première colline en affirmant avoir trouver.

Heureusement, il y a des agences de voyages et des guides qui parlent de la montagne. Ils ne sont pas rares mais souvent discrets et parlent à mots couverts de cette montagne qu’ils ont découvert, qu’ils ont aperçu et que parfois ils aiment plus que tout autre chose. Et ils parlent avec des mots difficilement compréhensibles par celui qui n’a pas expérimenté, au moins brièvement, cette présence. Quand j’avais 13-14 ans, j’ai croisé un de ces guides : un de mes condisciples. Oh, Rien ne le différenciait à première vue de mes autres camarades de classe. Peut-être malgré tout une certaine sérénité … Il m’a parlé de ce Dieu d’Amour qui éclairait sa vie, de l’importance de ce chemin qu’il parcourait sur la montagne de la Foi. Et il m’a parlé d’un livre, Du Livre, le guide par excellence pour atteindre la montagne et la gravir. Et ce livre, il n’a rien de secret, au contraire, c’est le livre le plus publié au monde : Il s’appelle la Bible. 13 ans, c’est l’age des interrogations, sur soi, sur les autres. C’est l’âge des grandes questions : Qui suis-je, où vais-je, … La montagne semblait belle et j’ai essayé de lire ce guide de voyage, seul, dans la plaine. Et j’ai entrevu l’image d’une montagne, lointaine, inaccessible car si le livre contient tout, il est difficile d’en comprendre le sens seul. Mais cette évidence, je n’en ai pris conscience que bien plus tard … Ce n’était encore qu’une recherche personnelle, un cheminement purement – où qui paraissait tel – volontaire vers une source inaccessible.

Comme une graine semée, cet appel de la montagne ne pas plus quitté. Naturellement avec des périodes de recul et des périodes de recherche plus intenses. Chaque colline était source de découverte, d’émerveillement : la fleur qui s’ouvre, l’arbre qui pousse, la rivière qui coule et nourrit. Avec le risque de prendre la colline pour la montagne et de s’arrêter à des croyances magiques ou faciles ou de suivre de faux guides qui se préoccupent plus de leur bien personnel que du chemin des autres. Passage dans l’irrationnel, par des lectures qui sont sensées expliquer tout de façon scientifiques ou méthodiques mais qui finalement laissent un goût amer de mercantile ou d’infantile. Mais d’autre part, c’est aussi la période où j’ai découvert la pauvreté dont certains sont revêtus comme d’un manteau. Et j’ai décidé de les aider en m’engageant dans des études paramédicales mais aussi concrètement en m’occupant de personnes handicapées. Pour leur apporter un peu de lumière, leur partager la lumière d’un amour reçu.

Et là, stupeur ! Je ne vivait plus dans la plaine mais dans des collines d’où j’entrevoyais d’autres collines plus hautes. Car en découvrant l’autre, j’ai découvert cette humanité qui nous unit. Première parole de mon credo : « Je crois que les hommes sont frères » et ce au delà des différences qui pourraient le séparer. Frères en humanité. Croire en l’homme, en ses possibilités de se dépasser, d’aller plus loin, plus haut non pas pour lui-même mais pour tous. Et sur ces collines j’ai croisé d’autres guides -personnes que j’avais pour la plupart déjà rencontré mais dont je n’avais pas vu l’étincelle intérieure : un pasteur, un prêtre, des philosophes, … qui m’ont donné des clés pour comprendre ce qui m’entourait. Et puis j’ai rencontré Marianne avec laquelle j’ai commencé à cette époque un chemin de vie qui se poursuit par ailleurs toujours aujourd’hui. Pas de grandes révolutions, juste un chemin qui se rapprochait paisiblement d’une montagne encore lointaine, tout au moins en apparence.

A force de chercher, on finit par trouver, même si ce n’est pas toujours ce qu’on attendait. Et petit à petit s’est fait mienne cette deuxième affirmation « Dieu est Père de tous les hommes ». Révélation car extérieure à moi et Révélation perturbante au point de susciter un refus. Et Dieu est patient : Il transforme lentement mon ‘NON’ en ‘PEUT ETRE’ et finalement en ‘OUI’. Avec cette première ébauche de Foi, tout se précipite, comme une boule de neige grossissant et m’entraînant sur les chemins qui gravissent la montagne. Paradoxe de Dieu qui fait monter les boules de neige … Et ce qui n’aurait été interprété que comme des hasards, des faits sans importance devient signe de l’existence de Dieu : Et ce tout autre, Dieu de l’absolu, devient un Dieu personnel, présent, emplit d’Amour et de compassion qui m’appelle à le suivre. Comme Abraham appelé à quitter son Pays (Gn 12) je suis appelé à suivre le chemin que Dieu m’indique, chemin qui emprunte des voies qui me semblaient jusqu’à ce jour impensables. Il ne s’agit pas encore à proprement parlé de christianisme, mais d’une Foi en un Dieu unique, qui parle et qui répond, un Dieu proche et à la fois lointain. Une nouvelle touche au credo personnel : « Dieu est » et « Dieu a besoin de toi » malgré l’insignifiance apparente de ma personne.

Les choses se précipitent, je suis touché au plus profond de mon être par le Mystère Pascal : véritable Révélation, conversion intérieure, expérience mystique : J’entrevois furtivement le sommet de la montagne, source de toute lumière et qui m’appelle : « Viens, suis-moi ». Dieu devient « Tu ». Ce ne fut sans doute pas aussi clair, je n’étais pas prêt à une telle évidence mais je me remets en marche. Mais cette fois je suis accompagné d’autres chrétiens : un pasteur, des moines, des amis. Chemin de réflexion, chemin vers le Baptême. Chemin difficile à affirmer à ceux qui vivent dans la plaine et qui nient ou ne peuvent/veulent pas voir la montagne. Incompréhension. Mais peut-être aussi graine plantée, question posée. Il est paradoxal de ne pas pouvoir montrer cette montagne que l’on voit et que les autres se refusent apparemment à vouloir voir. Une image m’en a fait comprendre par analogie le pourquoi : en vacances en baie de Somme, je me promenais à marée basse au Hourdel. Avec mes jumelles, j’observe les grandes étendues de sable et j’aperçois au loin une colonie de phoques. Je pose mes jumelles et effectivement, à l’horizon je vois quelques grands phoques que je montre à mes voisins. Personne ne les voit. Pourtant je ne rêve pas ! Il suffit d’ailleurs de leur passer les jumelles et à leur tour ils peuvent admirer les animaux marins. Que s’était-il passé ? Avais-je soudain reçu le don d’une excellente vue ? Non bien sûr ! Mais je savais où regarder et ce que je cherchais alors que les autres n’en avaient pas la moindre idée. Il en est sans doute de même pour cette montagne, pour cette présence de Dieu. Le croyant, par son expérience, par son vécu filtre ce qu’il voit et reconnaît la présence de Dieu là où le cherchant ne la voit pas encore.

Jusqu’à mon baptême, c’est un chemin essentiellement individuel que j’ai vécu : recherche et réponse à l’appel étaient des démarches personnelles où les autres n’intervenaient qu’occasionnellement, par petites touches. On peut donc parler d’une seconde conversion avec la découverte du sens de la communauté, de l’Eglise et son importance vitale dans tout cheminement. En haute montagne, il en est de même : on ne s’aventure pas seul, il faut des guides, des cordées même si le chemin de chacun est différent. Et je marche : d’abord physiquement sur les chemins de St Jacques, puis plus symboliquement. Le chemin de St Jacques, c’est pour moi 800 km de prière, de chemin partagé, de dons gratuits des autres et de réponses gratuites. C’est aussi la découverte de Marie, de Notre Dame du Chemin. C’est aussi la découverte du soutien d’une communauté locale que je connaissais à peine qui est présente et que je porte avec moi. C’est cette communauté qui m’a accueilli alors que j’étais pauvre. Mais n’est-ce pas la vocation de toute communauté d’accueillir le pauvre et particulièrement dans une paroisse dédiée à St Martin, connu pour son geste envers un pauvre d’Amiens alors qu’il n’était que catéchumène ? Je finirais par en oublier un des éléments essentiel de ce chemin, celui par lequel tout a commencé. Car si j’ai beaucoup parlé de Dieu qui appelle, qui parle à travers les autres, à travers son Eglise, j’ai négligé de parler de la Bible que j’avais présenté comme Le Guide pour atteindre cette montagne. Car il s’agit bien d’un guide au sens vivant du terme car la Bible est bien parole vivante, parole de Dieu révélé au homme, parole qui s’est fait chair pour guider et sauver l’homme. Parole vivante et vivifiante qui est le chemin. Mais aussi parole a vivre, à prier, à chercher à comprendre en communauté car c’est là qu’elle prend toute son envergure et tout son poids.

J’ai appris à aimer la montagne et je ressens le besoin de la faire aimer aux autres, à leur faire découvrir ses beautés, La fête que l’on y vit, … Et c’est tout naturellement que l’on devient à son tour un accompagnateur, modestement, progressivement. De ses propres enfants, de sa propre épouse qui eux aussi découvrent, à leur rythme, la montagne sur laquelle nous vivons aujourd’hui. Accompagnement d’autres enfants, de parents, d’adolescents avec qui je marche quelques temps et qui m’apportent chaque fois la joie de Sa présence. Les chemins montent, parfois redescendent. Ils semblent n’aller nul part à certains moments puis ils croisent d’autres routes, d’autres chemins. Parfois un obstacle à l’air impossible à franchir, mais la confiance, l’aide et l’amour de ses frères permettent de le dépasser.

Mais Dieu ne cesse d’appeler à le rejoindre, à continuer à gravir la montagne, à épurer sa Foi, à découvrir le sens des signes qu’il nous a donné et qu’il nous donne à la fois dans nos vies et à travers la célébration en Eglise. Et paradoxalement – mais le paradoxe n’est qu’apparent- , il m’appelle également à redescendre dans la plaine et à accompagner ceux qui le cherchent, à leur permettre d’aller plus loin, plus haut. A être témoin de mon amour de Dieu, pâle reflet de l’Amour que Dieu me donne.